Le Président de la République a opté pour une reconstruction à l’identique de la cathédrale Notre-Dame de Paris, y compris dans le choix des matériaux. Ceci implique l’utilisation de 460 tonnes de plomb (250 tonnes sur la flèche et 210 tonnes sur la toiture).
L’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS), créée en 1998, a pour objet l’éradication du saturnisme qui touche particulièrement les personnes les plus fragiles, à savoir les enfants et les femmes enceintes. L’AFVS a également le souci de préserver la santé des travailleurs amenés à travailler le plomb, métal hautement toxique. Depuis l’incendie de la cathédrale, l’AFVS s’est employée à alerter opinion et décideurs publics sur les risques liés à l’emploi du plomb dans la reconstruction de la cathédrale.
A la demande de l’AFVS, relayée par la conseillère Danielle SIMONNET (LFI), le Conseil de la ville de Paris a adopté, le 24 juillet dernier, un vœu « relatif aux risques de santé et de sécurité liés à l’utilisation du plomb pour la reconstruction de la cathédrale Notre Dame de Paris ».
Le Conseil de Paris a émis le vœu que la Maire de Paris :
« – interpelle le gouvernement et le Président de la République pour l’utilisation d’un matériau autre que le plomb, en tenant compte des risques sanitaires et du principe de précaution, pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris,
– demande que soient saisies les autorités sanitaires afin de recueillir leur avis sur les risques sanitaires présentés en cas de nouvel incendie, par les matériaux utilisés dans la reconstruction de Notre-Dame de Paris, et que notamment l’INRS ainsi que l’ANSES soient consultés,
– demande au gouvernement que la Ville de Paris soit consultée sur les matériaux et les étapes du chantier de reconstruction-rénovation de la Cathédrale Notre-Dame. »
Ce vœu a le mérite d’opérer un nécessaire recadrage en prenant appui sur deux impératifs majeurs : la santé publique et la sécurité même de la cathédrale en cas de nouvel incendie.
En effet, on a vu fleurir dans la presse des déclarations de plusieurs responsables, en charge de la reconstruction de la cathédrale, minimisant l’existence même d’une contamination au plomb suite à l’incendie de l’édifice. Et que dire des propos tenus par le Préfet de police allant jusqu’à dire « qu’à moins de lécher les trottoirs », il n’y aurait aucun risque.
Sur les 460 tonnes de plomb que contenaient la toiture et la flèche, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) a estimé que 150 kg ont été vaporisés dans l’air, où ce métal lourd, très nocif au développement cérébral des enfants, a été détecté jusqu’à 50 km de la cathédrale. A cette distance, des teneurs atmosphériques 20 fois supérieures à la normale ont ainsi été observées au cours de la semaine suivant l’incendie.
Mais ces dépôts seraient bien plus élevés, suggère une étudemenée par des chercheurs de l’université Columbia de New-York et publiée jeudi 9 juillet dans GeoHealth, revue de l’Union américaine de géophysique (AGU). Au lieu de 150 kg de plomb, les chercheurs estiment qu’au moins une tonne s’est déposée sur Paris.
Le rapport de l’Agence nationale de Sécurité Environnementale et Sanitaire (ANSES), de juillet 2019, intitulé “Valeurs biologiques d’exposition en milieu professionnel – Le plomb et ses composés inorganiques” souligne que le plomb est toxique quelle que soit la quantité et qu’il n’y a donc pas de seuil où commence la dangerosité de l’exposition au plomb.
Dans un récent article du Monde, l’architecte en chef des monuments historiques, Philippe Villeneuve, témoignait de son exaspération suite à la décision de l’Inspection du travail, à l’été 2019, de suspendre le chantier afin de faire enfin appliquer la réglementation relative à la protection des travailleurs contre le risque de saturnisme, maladie professionnelle reconnue depuis 1919. Or, si depuis cette date aucune plombémie n’aurait révélé d’intoxication au plomb sur le chantier, il y a tout lieu de penser que les mesures préconisées par l’Inspection du travail n’y sont pas étrangères.
De plus, nous constatons qu’il n’est jamais fait référence ni dans les préconisations des responsables du chantier ni dans la décision du Président de la République, aux précédents incendies de cathédrales en France, qui ont amené à renoncer à plusieurs reprises à l’usage du plomb pour refaire les toitures de ces édifices incendiés.
Ainsi, après l’incendie de sa toiture en plomb en 1836, la toiture de la cathédrale de Chartres a été reconstruite en cuivre, notamment parce que la température de fusion du cuivre est beaucoup plus élevée (1085°C) que celle du plomb (327°C) et que le gouvernement de l’époque souhaitait « réparer et prévenir ». Cette décision de ne pas reconstruire la cathédrale de Chartres « à l’identique » n’a pas réellement porté atteinte à ce chef d’œuvre de l’art médiéval puisque cet édifice est considéré aujourd’hui comme la plus belle cathédrale de France et a été la première à avoir été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1979.donner les toitures en plomb au profit des toitures en cuivre : cela a été le cas pour les reconstructions des cathédrales de Strasbourg
A deux reprises encore, il a été décidé d’abandonner les toitures en plomb au profit des toitures en cuivre : cela a été le cas pour les reconstructions des cathédrales de Strasbourg et de Metz. N’y aurait-il aucune leçon à tirer de ces précédents historiques ?
L’AFVS souhaite vivement que la raison, les principes de précaution et de prévention, le sens des responsabilités quant aux enjeux de santé publique et de sécurité de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en cas de nouvel incendie, que l’on ne saurait malheureusement exclure a priori, finissent par l’emporter sur toutes autres considérations.
Mathé Toullier,
Présidente de l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS)