Mohammed, un adhérent de l’AFVS, est représentant des usagers (RU) depuis dix ans. Il explique dans ce témoignage quelles sont ses activités en tant que RU, la manière dont il conçoit ce rôle et ses satisfactions.
Ce qui me vient d’emblée à l’esprit c’est « curiosité », « enrichissement », « découvertes ».
C’est pour comprendre comment fonctionne le système de santé, les enjeux, les limites.
Comment les informations sont données aux usagers. Je n’hésite pas à poser des questions, à chercher des explications, à contacter la plateforme Santé Info Droits de France Assos Santé. C’est parfois un travail de fourmis, mais tellement enrichissant. J’apprends et je désapprends au fil de mon expérience.
Je rencontre les professionnels de santé dont les chefs de service, les cadres, les infirmières, les responsables. Se faire connaître change beaucoup de choses.
J’observe. Par exemple, je vais aux caisses d’hospitalisation et de consultations, aux urgences, et je regarde et j’écoute ce qui se passe…
Et puis c’est également un enrichissement sur le plan humain. Quand un usager fait une demande, je l’appelle pour discuter, comprendre son problème, sa demande que l’on retravaille ensemble. Après, il faut reformuler la demande puis la réponse. Il ne suffit pas de dire que « ça a été vu avec le médecin », il faut être plus précis, expliciter, répondre vraiment tant aux patients qu’aux aidants.
Auprès du médecin je suis parfois amené à rappeler que le patient qui a plusieurs demandes n’est pas à même de les classer par ordre d’urgence et que c’est au médecin de les entendre toutes, de ne pas se focaliser sur l’une d’elles en disant qu’on verra le reste plus tard, et d’expliquer sa prise en charge.
J’incite les médecins à examiner la faisabilité des traitements. Par exemple, comment un patient vivant dans un logement suroccupé peut-il utiliser toutes les nuits un appareil d’assistance respiratoire bruyant qui empêche sa famille de dormir ? Comment une personne peut-elle avaler une dizaine de comprimés pendant les repas alors qu’elle cache sa séropositivité à ses proches ? Quel entraînement a été proposé à un patient pour qu’il fasse les bons gestes pour prendre en charge son diabète ? Ça implique de travailler avec l’écosystème pour donner une réponse adaptée tant sur le fond que sur la forme. On devient « interprète des relations humaines ».
80 % des réclamations concernent des problèmes de relations humaines, de gens qui se sentent mal compris, qui se plaignent d’impolitesse, de manque d’explications, du non-respect de leur consentement. Je pense à cette ado qui était enceinte et qui ne voulait pas que ses parents le sachent alors qu’ils étaient venus à l’hôpital avec elle. Nous sommes interpellés sur le plan éthique.
Je ne suis pas représentant de l’AFVS seulement, mais des usagers dont je porte la parole. L’objectif, le sujet, c’est la perspective du patient quelle que soit sa maladie. Il me faut prendre de la distance par rapport à mes convictions, même si je pense beaucoup à la prévention, aux déterminants de santé et à la précarité que je tente de faire comprendre, en se débarrassant des codes et représentations sociales (par exemple, s’il est en costume c’est qu’il n’a pas de problème financier !). Je suis particulièrement vigilant sur les modes de communication. Il faut que les informations soient accessibles à tous, qu’un maximum de chances soient données à un maximum de gens. Je tente de faire bouger le système en étant à la disposition des usagers.
Il me semble essentiel aussi de partager avec les autres représentants des usagers, avec des pairs, des patients experts, de s’entourer, d’échanger, d’analyser ensemble, de travailler en réseau.
C’est important aussi d’être humble et de se former régulièrement. France Assos Santé est très bien pour ça.
Oui. À la Commission des usagers de l’hôpital je suis au plus près des gens, alors qu’être RU à la Conférence Régionale de la Santé et de l’Autonomie (CRSA) ou à l’Agence régionale de santé, ainsi qu’à la Conférence nationale de santé (CNS) et au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie où je représente France Assos Santé, c’est un rôle plus politique, plus institutionnel. Dans ces institutions, les décideurs sont experts dans leur domaine, réfléchissent avec un certain « entre soi », leur vision en est tronquée et il y a souvent un gap, un fossé par rapport au vécu, au quotidien, aux difficultés de la majorité des gens. C’est de là qu’il faut partir en étant vigilant sur l’équité, le respect des droits. On ne parle pas de la même façon quand on porte la parole d’une seule personne, d’un cas particulier précis que lorsque la réflexion est plus globale. Et puis il faut être vigilant sur les multiples conséquences des mesures prises.
Oui, par exemple au début, en Commission des usagers, je ne participais qu’à quatre réunions avec les partenaires, maintenant j’ai deux ou trois appels par semaine. Je les transmets à la chargée de relation avec les usagers pour qu’elle les inscrive sur le livre de bord. Il faut laisser des traces et respecter le traitement imposé par la loi, envoyer un accusé de réception. Le délai doit être le plus court possible en tenant compte du contexte du service, de la maladie et de sa prise en charge, des circonstances, etc. Par exemple, quand un patient se plaint d’avoir toujours mal, le médecin ne doit pas se contenter de répondre qu’il a donné un traitement et considérer que cela suffit. Il faut lui demander d’entendre le patient, de comprendre ses difficultés de traitement, de le considérer comme un expert de sa maladie et de lui proposer des pistes d’amélioration.
Et puis je constate aussi des différences au niveau des médecins dont le temps de travail a diminué : ils ont souvent une activité mixte libérale et à l’hôpital. Ils sont formés différemment, beaucoup se tournent vers l’esthétique, la chirurgie réparatrice. Du coup, alors qu’il faut 24 à 48 heures pour avoir un rendez-vous esthétique, il faut plus de trois semaines pour avoir un rendez-vous médical. Et puis les médecins passent moins de temps à informer. A l’ARS je participe aux discussions sur la dotation matérielle, les professionnels privilégient leurs activités alors que moi je les incite à vérifier l’accessibilité financière et les transports pour les usagers.
Avoir une utilité sociale. Réussir à faire changer certaines pratiques c’est parfois très concret, mais tellement lourd de conséquences. Par exemple, il y avait un problème avec la salle de décès de l’hôpital. Les enfants qui étaient décédés étaient emmenés dans une salle dédiée. Quand des parents ont réclamé les affaires de leur petit, on ne les a pas retrouvées. C’était un deuil supplémentaire pour eux. Alors on a mis dans ces salles une armoire fermant à clé dans laquelle les soignants déposent dans un sac plastique toutes les affaires, étiqueté au nom de l’enfant qui restent à la disposition des parents. C’est une marque de respect tant vis-à-vis de l’enfant que de
sa famille.
Mon engagement est connu et reconnu. Du coup je suis très sollicité et j’ai parfois du mal à refuser, mais c’est vrai qu’il n’y a pas assez de RU.
Mohammed